Lettre ouverte à Tim Cook : saboter les applications web est indéfendable
Cher Tim Cook,
Nous vous écrivons pour vous faire part de notre inquiétude quant à la décision d'Apple de supprimer les applications web (PWA) d'iOS et de Safari dans l'Union européenne (UE), ainsi que pour faire valoir nos droits en vertu de la législation sur les marchés numériques (Digital Market Act - DMA).
Apple présente les applications web comme étant l’alternative ouverte à l'App Store, et les actions visant à les supprimer suscitent de vives inquiétudes au sein de la communauté Web. iOS reléguant les applications web au rang de simples raccourcis fait encourir un risque de perte de données et compromet la fiabilité du Web comme plateforme pour les utilisateurs et utilisatrices d’iOS. Ces modifications introduites silencieusement menacent des fonctionnalités cruciales, notamment l'intégration avec iOS, les notifications push, les pastilles de notifications non lues et la possibilité d’ouvrir les applications en plein écran. Leur suppression entraînera le dysfonctionnement d’applications web destinées aux étudiants, aux gouvernements, aux établissements de santé, aux journalistes et aux startups.
Des catégories entières d’applications ne seront donc plus viables sur le Web. Plus inquiétant encore, nous comprenons qu'iOS n'incluera pas non plus d'API permettant aux navigateurs concurrents de mettre en place ces fonctionnalités. Les utilisateurs, les développeurs et les entreprises, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de l'UE, subiront ainsi un préjudice considérable, immédiat et permanent.
Apple se justifie en évoquant des problématiques de sécurité et de respect de la vie privée, mais celles-ci sont, au mieux, infondées. Les applications web offrent une manière sûre d’utiliser les fonctionnalités de ses appareils, donnant le contrôle aux utilisateurs via leurs navigateurs. L'ouverture d'iOS aux moteurs de rendu de navigateur concurrents ne peut qu’améliorer la sécurité et le respect de la vie privée, non pas les éroder. Propulsées par des navigateurs concurrents, les applications web sont en mesure d’être plus sûres et plus performantes que les applications actuelles. La suppression de leur prise en charge ne saurait être justifiée par des raisons de sécurité. Les arguments d’Apple concernant la sécurité des navigateurs concurrents ont été catégoriquement rejetés par les régulateurs à travers le monde, et le cas présent n’est pas différent.
Nous, soussignés « utilisateurs finaux » et « entreprises utilisatrices », faisons valoir nos droits en vertu des articles 5 et 6 du DMA de l’UE. En particulier, nous invoquons notre droit établi par l'article 6, paragraphe 7, qui assure aux entreprises une interopérabilité effective avec les caractéristiques logicielles du système d'exploitation.
En vertu de ces droits, Apple est tenu de préserver, sur iOS, la fonctionnalité permettant à Safari et aux autres navigateurs d'ajouter des applications web à l'écran d'accueil, de leur permettre de s’ouvrir dans des fenêtres de premier niveau (et non dans des onglets), d’être intégrées aux réglages et autorisations d’iOS, d’utiliser les notifications push et les pastilles d'icône de l'écran d'accueil, et de s’exécuter en plein écran.
En outre, nous soutenons que les modifications proposées par Apple violent l’article 13 du DMA qui interdit les pratiques de contournement par les contrôleurs d’accès désignés. En particulier, l’article 13(6) qui stipule :
6. Le contrôleur d’accès ne détériore ni les conditions, ni la qualité de l’un de ses services de plateforme essentiels fournis aux entreprises utilisatrices ou aux utilisateurs finaux qui font valoir leurs droits ou choix prévus aux articles 5, 6 et 7 [...]EU Digital Market Act, article 13, paragraphe 6 (mise en gras ajoutée)
Il est encore possible pour Apple de faire marche arrière et de préserver ces fonctionnalités essentielles sur lesquelles les utilisateurs d'iOS et les développeurs s'appuient depuis 2007, lorsque Steve Jobs a introduit les applications web pour iPhone. La détérioration de ces fonctionnalités d’iOS et de Safari n'est pas requise par le DMA. Nous encourageons Apple à collaborer de toute urgence, de manière transparente et de bonne foi avec toutes les parties prenantes pour restaurer et améliorer ces fonctionnalités essentielles.
Préserver ces fonctionnalités, les mettre à la disposition des concurrents et rendre effective la capacité des utilisateurs à choisir leur navigateur, et ce au niveau international, est la seule voie possible à suivre de bonne foi. Nous appelons Apple à la fois à se conformer à ses obligations légales, et à permettre une concurrence loyale et réelle sur ses plateformes à l’échelle mondiale. Apple est en capacité de rivaliser sur la base du mérite, plutôt que de s’appuyer sur des manœuvres de verrouillage et sur un traitement préférentiel de ses propres services.
Nous vous prions d'agréer, monsieur, l'expression de nos salutations distinguées.